Billeterie en ligne
Auteur
Lizène Jacques

Lizène Jacques

né(e) en 1946

vidéaste, comédien, graphiste, peintre, musicien, performer, artiste multimédia

« Ce qui est bon dans l’art médiocre c’est que l’on peut tout se permettre ».

« Vive la médiocrité et tout ce qui est moche. »

« Ah ah ah ah ah ah ah ah »


Jacques Lizène est un artiste belge, né à Liège en 1946.
Et c’est en 1966, qu’il prend position pour l’Art sans talent. L’Art sans talent nous rappelle la posture de génie sans talent de Robert Filliou, que l’artiste liégeois aime citer. C’est aussi en 1967 que le même Filliou proclame la révolte des médiocres, comme un refus « d’être culturellement colonisé par une race auto-désignée de spécialistes de la peinture, de la sclupture, de la poésie, de la musique. »
Pour Lizène, Filliou c’est l’utopiste ; lui, il arrive bien après. Mais, ce n’est pas pour autant qu’il s’en éloigne. Bien au contraire. Lizène c’est la médiocrité à son paroxysme, vécue au quotidien. La médiocrité comme source de liberté. Mais attention, comme il le dit lui même, il faut avoir les reins solides pour supporter les quolibets. La médiocrité est une attitude, celle du bancal, celle d’un artiste conceptuel comique, un artiste pour qui le rire est fort et moqueur, pour qui le sérieux est abominable.
Médiocres comme les copies de français que je pouvais rendre à une certaine époque. Médiocre, comme ce qui ne respecte pas les règles, comme ce qui est marginal. C’est bien Lizène, lui-même, qui se revendique banlieusard de l’art. Et l’art le lui rend bien. Même si l’on pouvait voir une première rétrospective au Mukha à Anvers au début de cette année 2009, même s’il est représenté par la très bonne galerie Nadja Vilenne, Lizène n’est pas de ceux qui se font les plus fréquents, que l’on nous rabâche à tout bout de champ. Trop médiocre l’artiste !
Pour Lizène, la médiocrité lui sert à lutter contre « l’impérialisme du talent ». C’est vrai ça, le talent et ses talentueux nous fatiguent, nous ennuient. Et Lizène, avec son rire inimitable, de les décontenancer. Tout ce qu’il fait est médiocre, nul, sans talent, bancal, sans importance, minable, proche de la fumisterie et de l’imposture. Lizène est le bout en train dans toute sa splendeur, ce dandy qui se fiche du jugement. Avec Lizène rien n’est sérieux, pas même la vie, encore moins l’art.
Lizène fait partie de ses artistes d’attitudes ( ou même arteurs, voir Opus international numéro 22). « L’Art d’attitude est un prolongement du produit et non pas le produit comme chez les autres. Comprenne qui pourra. » L’art d’attitude, on l’aura compris, est un terme lizénien, bien éloigné de la définition de Ben. « J’ai créé le terme en 1965 pour définir l’attitude de non-procréation que j’avais décidé de prendre. J’avais déclaré que je ne procréerais pas et que l’espèce humaine devait en faire autant et s’éteindre gentiment à jamais. Pour définir cette position de manière plus globale et la définir par rapport à l’art, j’ai créé ce terme d’art d’attitude. »
On le voit bien l’art d’attitude, chez Lizène, prend naissance avec cette première sculpture invisible, cette vasectomie qu’il a donc fait réaliser en 1970. Jean-Michel Botquin écrit que « la vasectomie lizénienne est l’image même d’un art qui se refuse à la production, à la productivité. » Ce geste, cette sculpture interne, alimente la mythologie individuelle débutée par cette autoproclamation de Petit Maître liègeois de la seconde moitié du XXe siècle. L’art d’attitude chez Lizène relève bien du dandy, de cet homme qui erre sans attacher grande importance à ce qu’il fait. Et Jean-Michel Botquin de dire aussi que « l’oeuvre dès lors construiste n’est qu’une suite de fantaisies inabouties, une façon de passer le temps en attendant la mort. » Lizène propose alors à l’espèce humaine de s’éteindre, car c’est « en regardant le reste du monde que j’ai décidé de ne jamais procréer. »
Lizène, c’est cet artiste total, un artiste qui fait de la peinture avec sa merde, devenant ainsi son propre tube de peinture (mur en brique peint avec sa propre merde en 1977) , c’est cet artiste qui fait de la musique à l’envers, qui bricole le langage, qui joue avec la vidéo, qui s’amuse au quotidien. Son art c’est lui, et lui c’est le rire, ce rire que l’on perçoit dans chacune de ses pièces, dans chacun de ses dessins nuls, ou sculptures médiocres, ce rire qui dérange, qui fait mal, qui met mal à l’aise. Et finalement, Lizène incarne l’artiste qui arrive parfaitement à allier l’idée à la blague, avec folie, sans prise de tête. Puisqu’il peut tout faire, alors il se permet tout. Oui Lizène est bel et bien libre ! Car Lizène ne travaille pas, et s’il y a bien un truc qui peut l’écoeure c’est le travail. « Une société dont le but n’est pas la suppression du travail (contrainte) et le dépassement du modèle de la « compétition spermatozoïque », doit être sapée. »
Lizène artiste total : oui. Lizène, c’est aussi bien les peintures, que les dessins, que les performances, que les vidéos, que les expositions. Tout ceci forme l’art de Lizène, un art si singulier, un art nul, un art emmerdant, un art qui déboussole le bourgeois bien implanté dans ses valeurs, un art qui destabilise. Comment ne pas voir chez lui, dans son attitude désinvolte, une rébellion envers notre réalité si sérieuse et aliénée. Comment ne pas voir dans cet art subversif une critique de cette société qui ne veut que des gens de talents, qui réussissent, qui cartonnent. Lizène c’est l’artiste qui ne réussit pas, c’est l’artiste qui échoue et qui en rit. « Démarche sans importance...à la limite du ridicule. Bien. »
Lizène est à la frontière de Fluxus avec ces jeux de vidéos que l’on rapproche à celles de Filliou (notamment le dressage de la caméra) proche du body art avec sa sculpture interne, mais pour autant on ne peut pas se permettre d’enfermer l’artiste belge dans un cadre comme il se permet de le faire dans cette série de clichés pour contraire le corsp à s’inscrire dans le cadre de la photo. « Ainsi Jacques Lizène s’applique-t-il à ne pas dépasser les limites, il les aménages, les tutoie. L’idiotie n’est pas un hors-champ et sa découverte ne nécessite ni dérives hallucinées, ni excursions allogènes. L’idiotie est centrale, originelle, naturelle. » ( Jouannais, l’idiotie, p. 106)
Plus particulièrement, j’aimerai parler de l’art vidéo chez Lizène. Il découvre la vidéo avec Jacques-Louis Nyst dans les années 70. Il « voulait l’employer comme un médium spécifique en jouant sur le fait que l’on pouvait s’en servir comme miroir, notamment en contraignant le corps à entrer dans le cadre. Ce qui me plaisait dans la vidéo c’était la mauvaise qualité des images. » Et l’on peut voir que Lizène s’amuse avec ce nouvel outil, comme un enfant. Là encore, avec ses vidéos Lizène est proche des expérimentations de Robert Filliou. La vidéo, art qui est devenu aujourd’hui bien trop académique, bien trop rangé, bien trop proche du clip musical, était de l’ordre du jeu. Ainsi, la fraicheur de l’outil se rajoutait à celles de ces artistes pour un résultat tout aussi étonnant. C’est pourquoi, il me semble que ces vidéos lizéniennes sont indispensables. Chez lui, la vidéo est la compagne idéale pour un art médiocre et bancale, puisqu’il garde tout, ne coupant rien au montage. La vidéo sert aussi de trace de performance, bref, il l’utilise comme d’autres utilisent un crayon pour dessiner, sans réel savoir-faire.
Je pense évidemment qu’il y a dans l’art de Lizène, une arrogance envers tous les savoir-faire que possèdent un homme de talent. Et le talent énerve, non pas parce qu’il sait faire, mais bien parce qu’il est professionnel, et autoritaire, qu’il finit bien. Ce qu’il fait est propre quoi. Finalement, avec la médiocrité, on se débarasse des complexes (« je ne sais pas dessiner », « je ne sais pas filmer ») pour expérimenter à notre manière.
Enfin, Jacques Lizène connaît avec cette année 2009 sa toute première monographie éditée par L’Usine à stars et Yellow Now. Le livre est épais, près de 500 pages, et garni d’un dvd où le spécialiste de la médiocrité nous présente des extraits de ses vidéos. Là encore, on se régale. « Hop encore une oeuvre de faite. »


Sources:

http://www.paperblog.fr/2642983/jacques-lizene/

Jacques Lizène, Tome 3, L’Usine à Stars, Yellow Now, Crisnée, Liège, 2009
Denis Gielen, Le vingt-cinquième bouddha, conversation avec Jacques Lizène, Facteur Humain, Bruxelles, 2003
Jean-Yves Jouannais, LÂ’idiotie, Beaux-arts magazine, Paris, 2003

http://www.mygale.org/10/PIGE

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